top of page
Rechercher

[Jurisprudence] Sur la résiliation unilatérale du contrat pour irrégularité grave

  • garreauavocat
  • 30 juin 2021
  • 9 min de lecture

Le Conseil d'État vient encadrer les conditions dans lesquelles le pouvoir adjudicateur pouvait résilier un marché public en raison des irrégularités commises dans la procédure de mise en concurrence et d’attribution d’un marché. Les faits de l’espèce sont simples : la communauté d'agglomération Reims métropole a lancé une procédure de passation sous la forme d'un appel d'offres ouvert pour l'attribution d'un marché public ayant pour objet la fourniture de points lumineux, supports et pièces détachées. Ce marché public a été décomposé en trois lots distincts ayant pour objet la fourniture de points lumineux (lot n° 1), la fourniture de supports (lot n° 2) et la fourniture de pièces détachées (lot n° 3). Ces trois lots ont été attribués à la société Comptoir Négoce Equipements (la société), qui a commencé l'exécution des prestations le 1er janvier 2015. Toutefois, le 5 février 2015, la communauté d'agglomération Reims métropole l'a informée de la résiliation des trois lots à compter du 1er avril 2015 en raison de l'irrégularité entachant la procédure de passation du marché. La société décidait donc de saisir le juge du contrat (en l’espèce le tribunal administratif de Châlons-enChampagne) d’une requête d'une demande tendant à la reprise des relations contractuelles, assortie de conclusions indemnitaires, sur le fondement de la célèbre jurisprudence « Commune de Béziers II » [1]. Le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, par un jugement du 8 août 2017, constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions en reprise des relations contractuelles, puis condamné la communauté urbaine du Grand Reims, venue aux droits de la communauté d'agglomération Reims métropole, à verser à cette société une somme de 172 560,73 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 25 mars 2015, en réparation des préjudices subis, au titre de l'année 2015, du fait de la résiliation de ces lots. La communauté urbaine du Grand Reims a, alors, relevé appel de ce jugement et, par la voie de l'appel incident, la société a contesté le jugement en tant qu'il n'a pas indemnisé les préjudices qu'elle estime avoir subis au titre des années 2016 et 2017. Par un arrêt du 19 mars 2019 [2], la cour administrative d'appel de Nancy a essentiellement annulé le jugement du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne en tant qu'il a condamné la communauté urbaine du Grand Reims à verser à la société une somme de 172 560,73 euros et rejeté le surplus des conclusions des parties. C’est contre cet arrêt du juge d’appel que la société a érigé un pourvoi en cassation. Par l’arrêt commenté, le Conseil d'État rappelle tout d’abord la prérogative générale de l’administration de prononcer la résiliation unilatérale d’un contrat pour motif d’intérêt général (I). La Haute Juridiction étend cette faculté à la résiliation d’une convention invalide, sous réserve de la gravité du vice dont elle est entachée et du respect de l'exigence de loyauté des relations contractuelles (II).

I - Sur la faculté de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général par l’administration

Par l’arrêté commenté, le Conseil d'État commence par rappeler par un premier considérant de principe que : « En vertu des règles générales applicables aux contrats administratifs, la personne publique cocontractante peut toujours, pour un motif d'intérêt général, résilier unilatéralement un tel contrat, sous réserve des droits à indemnité de son cocontractant. » Ce faisant, la Haute Juridiction ne fait que rappeler une jurisprudence ancienne et des mieux établies. En effet, l’intérêt général fonde le caractère dérogatoire du régime juridique des contrat administratifs et la capacité de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général constitue, à la suite, l’un des critères même de la définition du contrat administratif, en étant considéré comme l’archétype de la clause exorbitante de droit commun [3]. L’administration a ainsi très tôt disposé d’un pouvoir de résiliation unilatérale du contrat pour motif d’intérêt général [4]. Le pouvoir de résiliation unilatérale dont dispose l’administration contractante existe même en l’absence de toute disposition législative ou règlementaire ou stipulation contractuelle en ce sens [5]. Ce principe s’applique à toutes les catégories de contrats administratifs, et bien entendu aux marchés publics [6]. De manière classique deux conditions encadrent, cependant, ce droit ouvert à l’administration de résilier unilatéralement un contrat administratif en dehors de toute faute de la part de son cocontractant. Tout d’abord, elle doit faire état du motif d’intérêt général qui justifie la résiliation [7]. En l’absence d’une telle finalité, la résiliation est irrégulière. Le cocontractant doit être indemnisé par l’administration pour le préjudice subi [8]. Il apparaît à la lumière des évolutions jurisprudentielle récente, dont l’arrêt commenté constitue le point d’orgue, qu’à ces deux conditions doivent désormais être ajoutée une faculté de résiliation unilatérale du contrat, dans l’hypothèse où celui-ci serait entaché d’une irrégularité grave. Cette hypothèse est rattachée par la Haute juridiction à la faculté de résiliation pour motif d’intérêt général. Cependant, les conditions très spécifiques de mise en œuvre de ladite résiliation et les principes qui l’encadrent, permettent de la considérer comme un motif sui generis de résiliation unilatérale du contrat.


II - Sur la faculté de résiliation unilatérale du contrat pour irrégularité grave, dans la limite de l’« exigence de loyauté dans les relations contractuelles »


Par l’arrêt commenté, le Conseil d'État, après avoir rappelé la faculté de résiliation unilatérale de l’administration, vient en préciser les contours, dans le cas très spécifique de la résiliation pour irrégularité grave du contrat : « Dans le cas particulier d'un contrat entaché d'une irrégularité d'une gravité telle que, s'il était saisi, le juge du contrat pourrait en prononcer l'annulation ou la résiliation, la personne publique peut, sous réserve de l'exigence de loyauté des relations contractuelles, résilier unilatéralement le contrat sans qu'il soit besoin qu'elle saisisse au préalable le juge. Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice ». Il sera tout d’abord relevé que la Haute juridiction cantonne son considérant de principe à l’hypothèse particulière d’un contrat dont la résiliation serait motivée par l’existence d’une irrégularité grave, de telle nature que celle-ci pourrait justifier si le juge du contrat en était saisi qu’il « en prononcer l'annulation ou la résiliation ». Difficile de ne pas reconnaitre dans les termes employés par le Conseil d'État, la référence à l’arrêt « Commune de Béziers I » [9] dont le considérant de principe énonce que : « Les parties à un contrat administratif peuvent saisir le juge d'un recours de plein contentieux contestant la validité du contrat qui les lie ; qu'il appartient alors au juge, lorsqu'il constate l'existence d'irrégularités, d'en apprécier l'importance et les conséquences, après avoir vérifié que les irrégularités dont se prévalent les parties sont de celles qu'elles peuvent, eu égard à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, invoquer devant lui ; qu'il lui revient, après avoir pris en considération la nature de l'illégalité commise et en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, éventuellement sous réserve de mesures de régularisation prises par la personne publique ou convenues entre les parties, soit de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, la résiliation du contrat ou, en raison seulement d'une irrégularité invoquée par une partie ou relevée d'office par lui, tenant au caractère illicite du contenu du contrat ou à un vice d'une particulière gravité relatif notamment aux conditions dans lesquelles les parties ont donné leur consentement, son annulation ». L’application de la logique découlant de l’arrêt « Commune de Béziers I » est assumée par le rapporteur public Gilles Pellissier dans ses conclusions sur l’arrêt commenté : « Ces nouvelles règles redéfinissent un équilibre entre légalité et stabilité des relations contractuelles qui doit s'appliquer à toutes les possibilités de remise en cause des obligations contractuelles, qu'elles soient juridictionnelles ou administratives. La personne publique cocontractante ne peut donc tirer de l'irrégularité du contrat plus de pouvoir de le remettre elle-même en cause qu'elle pourrait demander au juge de le faire ou que celui-ci pourrait le lui imposer ». Ce faisant, la Haute juridiction soumet le pouvoir adjudicateur au même carcan qu’elle s’est appliquée elle-même, au terme d’une œuvre prétorienne qui a bouleversé le droit des contrats publics, au tournant de la première décennie des années 2000. Il y a là quelque chose de singulier que de voir le Conseil d'État imposer à l’administration active de raisonner à la manière du juge, lorsqu’elle doit exercer sa capacité de résiliation unilatérale du contrat. Par un nouveau paradigme, et selon la solution dégagée par l’arrêt commenté, il appartient désormais au pouvoir adjudicateur, non plus de se cantonner à apprécier l’intérêt général attaché à la résiliation unilatérale d’un marché, dont la procédure de passation est entachée d’irrégularité. Mais, dans ce cas précis, et alors même que l’irrégularité de procédure existe et que le marché est vicié, l’administration doit désormais prendre en considération la nature de l'illégalité commise, tout en tenant compte de l'objectif de stabilité des relations contractuelles, et décider de la poursuite ou non de l'exécution du contrat. Le pouvoir adjudicateur doit dès lors quitter son incarnation et se muer en juge pour apprécier si la résiliation est justifiée eu égard à la gravité du vice. Nul doute que l’exercice sera périlleux et quelque peu contre-nature. Le fondement de cette nouvelle architecture tient à l’application au contentieux de la résiliation, du principe de loyauté des relations contractuelles, également dégagé par la jurisprudence « Commune de Béziers I ».

Selon les conclusions du rapporteur public Gilles Pellissier sur l’arrêt commenté : « L'invocabilité du vice tient à l'exigence de loyauté des relations contractuelles, qui fait obstacle à ce qu'une partie se prévale d'irrégularités qui lui sont exclusivement imputables pour échapper à ses obligations contractuelles. […] Il n'y a donc, et c'est l'un des traits les plus marquants de l'évolution de votre jurisprudence en la matière, aucune automaticité entre l'irrégularité d'un contrat et sa cessation ». C’est d’ailleurs ce que le Conseil d'État a jugé dans l’arrêt commenté en estimant que : « La cour administrative d'appel de Nancy a souverainement jugé, sans dénaturer les pièces du dossier qui lui était soumis, au vu notamment d'autres marchés dans lesquels les documents de la consultation comportaient la mention ‘ou équivalent’ au titre des spécifications techniques, que l'omission de cette mention dans le marché en litige avait eu pour effet de favoriser la candidature de la société. Toutefois, la cour a commis une erreur de droit en en déduisant que cette irrégularité justifiait la résiliation du contrat en litige par la communauté d'agglomération du Grand Reims par application des stipulations contractuelles citées au point 4, sans rechercher si cette irrégularité pouvait être invoquée par la personne publique au regard de l'exigence de loyauté des relations contractuelles et si elle était d'une gravité telle que, s'il avait été saisi, le juge du contrat aurait pu prononcer l'annulation ou la résiliation du marché en litige, et, dans l'affirmative, sans définir le montant de l'indemnité due à la société requérante conformément aux règles définies au point ». L’exigence de spécification techniques sans mentionner, aux documents de la consultation, que les solutions techniques équivalentes sont admises ne constitue donc pas un vice d’une gravité suffisante pour justifier de la résiliation unilatérale du marché par le pouvoir adjudicateur. L’exigence de loyauté dans les relations contractuelles s’oppose donc à ce que le pouvoir adjudicateur puisse se saisir de ce motif pour prononcer la résiliation unilatérale du marché. Enfin, l’arrêt commenté rappelle l’obligation pour le pouvoir adjudicateur d’indemniser son co-contractant, dans l’hypothèse d’une résiliation pour motif d’intérêt général. Après une telle résiliation unilatéralement décidée pour ce motif par la personne publique, le cocontractant peut prétendre, sur un terrain quasi-contractuel, pour la période postérieure à la date d'effet de la résiliation, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité envers laquelle il s'était engagé. Si l'irrégularité du contrat résulte d'une faute de l'administration, le cocontractant peut, en outre, sous réserve du partage de responsabilités découlant le cas échéant de ses propres fautes, prétendre à la réparation du dommage imputable à la faute de l'administration. Saisi d'une demande d'indemnité sur ce second fondement, il appartient au juge d'apprécier si le préjudice allégué présente un caractère certain et s'il existe un lien de causalité direct entre la faute de l'administration et le préjudice.

[1] CE, 21 mars 2011, n° 304806 (N° Lexbase : A5712HIE).

[2] CAA Nancy, n° 17NC02326 (N° Lexbase : A3763Y8U).

[3] CE Sect., 20 octobre 1950, Stein, Lebon. p. 505.

[4] CE, Ass., 2 mai 1958, n° 32401 (N° Lexbase : A9976Y4A), Lebon 1958, p. 246.

[5] CE, 22 avril 1988, n° 86241, 86242, 88553 (N° Lexbase : A7655AP9), Lebon 1988, p. 157.

[6] CE, 23 avril 2001, n° 186424 (N° Lexbase : A3601ATK).

[7] CE, Ass., 2 mai 1958, n° 32401, précité.

[8] CE, 7 août 1874, Hotchkiss et Coolidge, Lebon 1874, p. 825. [9] CE, 28 décembre 2009, n° 304802 (N° Lexbase : A0493EQC).



Comments


Post: Blog2_Post

06.20.85.42.60

Parc KENNEDY, Bât. A1, 285 Rue Gilles ROBERVAL, 30900 NIMES

  • Facebook
  • Twitter
  • LinkedIn

©2021 par Maître Olivier GARREAU. Créé avec Wix.com

bottom of page