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[Jurisprudence] Sur les règles de forclusion à l'encontre des décisions à objet purement pécuniaire

  • garreauavocat
  • 30 juin 2021
  • 7 min de lecture

Réf. : CE 2° et 7° ch.-r., 27 avril 2021, n° 438907, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A41234QR)


Mots clés : procédure • voies de recours • décisions à objet purement pécuniaire


Dans cette affaire, Monsieur GIACOMETTI avait été engagé par la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud, à compter du 1er février 1997, en qualité d'enseignant par un contrat renouvelé jusqu'au 31 juillet 1998, puis en qualité d'assistant de la direction de l'institut consulaire de formation, par un contrat expirant le 31 août 1998.

Par décision du 29 septembre 1998, l’agent avait été recruté, à compter du 1er septembre 1998, en qualité d'animateur de stage informatique stagiaire, avant d'être titularisé à compter du 1er septembre 1999.

Estimant que son ancienneté devait prendre en compte la date du 1er février 1997 et non celle du 1er septembre 1998 retenue par l'administration, Monsieur GIACOMETTI sollicitait, le 15 décembre 2014, du président de la chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud, la régularisation de sa date d'embauche et de ses droits afférents ainsi qu'une indemnité correspondant au préjudice financier correspondant à cette erreur de date, demande était implicitement rejetée.

Monsieur GIACOMETTI saisissait donc le tribunal administratif de Bastia aux fins de solliciter l’annulation de la décision implicite par laquelle le président de la chambre de commerce et d'industrie d'Ajaccio et de la Corse-du-Sud avait rejeté sa demande du 15 décembre 2014.

Par ce recours de plein contentieux, l’agent cherchait à obtenir la régularisation de sa date d'embauche et la reconstitution des droits à carrière et à pension correspondants ainsi que la condamnation de la chambre de commerce et d'industrie à lui verser la somme de 9 283,33 euros.

Par un jugement n° 1501214 du 13 avril 2017, le tribunal administratif de Bastia rejetait sa demande. Monsieur GIACOMETTI interjetait appel devant la Cour Administrative d’appel de Marseille qui rejetait une nouvelle fois ses demandes, non sur le fond, mais en raison de l’irrecevabilité de la requête initiale, et ce pour tardiveté.

Par son arrêt n° 17MA02398 du 17 décembre 2019, la cour administrative d'appel de Marseille a, en effet, retenu que les conclusions présentées par l'intéressé tendaient à la réparation des conséquences pécuniaires de la décision prise par son employeur de prendre en compte son ancienneté au 1er septembre 1998, décision révélée par la mention explicite figurant dans les bulletins de salaire de l'intéressé établis à partir du mois d'août 2005, et a considéré que cette décision revêtait un caractère purement pécuniaire et qu’elle était devenue définitive.

Monsieur GIACOMETTI exerçait un pourvoi devant le Conseil d’Etat, pour obtenir l’annulation de l’arrêt susvisé.

La question posée à la Haute Juridiction porte donc moins sur le fond de l’affaire, que sur la mise en œuvre et la combinaison de règles jurisprudentielles relatives à la recevabilité des recours à l’encontre des décision à objet purement pécuniaire. Cette question est devenue au fil du temps, de plus en plus complexes au fil de l’empilement des arrêts rendus.

l’arrêt GIACOMETTI a pour portée essentielle de préciser la définition de la notion de « décision à objet purement pécuniaire », dont l’imprécision et la latitude d’interprétation corrélative, sont susceptibles de nuire à l’exercice du droit au recours par le justiciable.

L’analyse de l’arrêt nécessite au préalable de rappeler le cadre jurisprudentiel général posé par le Conseil d’Etat, en matière de recevabilité des recours contre les décision à objet purement pécuniaire (I). Dans un deuxième temps, il sera possible de constater que le Conseil d’Etat a entendu encadrer la notion de décision à objet purement pécuniaire, pour en définir le champ d’application (II)


I/ SUR LES REGLES DE FORCLUSION DES RECOURS DE PLEINE JURIDICTION CONTRE LES DECISIONS A OBJET PUREMENT PECUNIAIRE

Soucieux d’assurer la sécurité juridique des décisions prises par l’administration vis-à-vis de ses agents et leurs conséquences pécuniaires, le juge administratif a, en ce qui concerne les décisions à objet purement pécuniaire, très tôt posé des règles relatives à la forclusion de l’action.

De manière générale, la jurisprudence administrative admet qu’un administré puisse exercer un recours de plein contentieux à objet indemnitaire à l’encontre d’une décision à l’encontre de laquelle le délai de recours en excès de pouvoir a pourtant expiré.

Ainsi, il est de jurisprudence constante le recours indemnitaire dont l’objet est d’obtenir réparation du préjudice causé par une décision administrative, reste ouvert, après l’expiration du délai de recours de deux mois (CE, Section, 14 octobre 1960, Laplace, n° 46386, au Recueil).

Ce principe souffre cependant d’une exception, lorsque la décision contestée est une décision à objet purement pécuniaire.

Madame Mireille LE CORRE, rapporteure publique sur l’arrêt GIACOMETTI, rappelle que, dans cette hypothèse : « 4. Comme vous le savez, votre jurisprudence Lafon – faisant suite à la jurisprudence Lafage - empêche de contourner, par le truchement de la voie indemnitaire, celle de l’excès de pouvoir et ses règles de forclusion, lorsque l’objet recherché est identique.

En application de la décision de Section Lafon, (Section, 2 mai 1959, Ministre des finances c/ Sieur Lafon, n° 44419, au Recueil p. 282), est, en effet, jugée irrecevable toute demande indemnitaire fondée sur l’illégalité d’une décision à objet purement pécuniaire devenue définitive. »

En définitive, les règles de recevabilité des recours indemnitaires à l’encontre des décisions à objet purement pécuniaires échappent à la tolérance jurisprudentielle valant pour les autres types de décision.

Le Conseil d’Etat s’oppose à ce qu’un tel recours de plein contentieux soit déposé, une fois expiré le délai de recours pour excès de pouvoir, du moins cela vaut-il pour les décisions expresses.

L’arrêt GIACOMETTI commenté rappelle cette règle, dans un considérant de principe :

« 2. L'expiration du délai permettant d'introduire un recours en annulation contre une décision expresse dont l'objet est purement pécuniaire fait obstacle à ce que soient présentées des conclusions indemnitaires ayant la même portée. »

Reste toutefois à définir ce que constitue une décision à objet purement pécuniaire.


II/ SUR LA DEFINTION DE LA DECISION A OBJET PUREMENT PECUNIAIRE


Par un arrêt récent, « Ministre de l'économie et des finances et Ministre de l'action et des comptes publics c/ M. Veillepeau » (10 juillet 2020, n° 430769, aux Tables), que nous avions également commenté dans cette publication, le Conseil d’Etat avait jugé que :

« 2. En premier lieu, le bulletin de paie d'un agent public ne revêt pas, en lui-même, le caractère d'une décision. Il en va ainsi alors même qu'il comporterait une simple erreur, qu'il s'agisse d'une erreur de liquidation ou de versement. […]

3. Il résulte de ce qui précède que la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreurs de droit en relevant que les fiches de paie de M. B... n'avaient pas en elles-mêmes le caractère de décisions à objet pécuniaire puis en jugeant que sa demande tendant à la contestation des rémunérations versées par le Trésor public au titre des années 2010 à 2012 revêtait un caractère indemnitaire. »

Il s’évinçait de ce précédent arrêt que le juge administratif avait souhaité encadrer la notion de décision à objet purement pécuniaire, en excluant les bulletins de paie des agents publics.

L’arrêt GIACOMETTI adopte un autre plan et se focalise cette fois-ci sur les décisions « révélée par » une « mention explicite figurant dans les bulletins de salaire ».

Ce changement de paradigme est subtil, puisqu’un même acte administratif peut ne pas revêtir de caractère décisoire par lui-même, mais révéler, par les mentions qu’il comporte, l’existence d’une décision implicite.

Dans le cas de Monsieur GIACOMETTI, la mention explicite figurant au bulletin de paie de l’agent était son ancienneté. Le bulletin de paie litigieux indiquait que son employeur avait décidé de prendre en compte son ancienneté au 1er septembre 1998, alors que l’agent revendiquait une ancienneté à compter du 1er février 1997.

Cette décision de l’administration, devenue définitive au moment de l’introduction du recours de l’agent, devait-elle être considérée comme une décision ayant un objet purement pécuniaire ?

Le Conseil d’Etat répond par la négative et de manière tout à fait logique, car cette position est conforme au sens littéral de la notion de « décision à objet purement pécuniaire ».

La Haute juridiction considère en effet que : « En jugeant que la décision fixant cette date d'ancienneté avait un objet purement pécuniaire, alors que, en application des dispositions régissant le personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie, elle emportait des effets juridiques sur sa situation individuelle qui n'étaient pas exclusivement financiers, le statut du personnel administratif des chambres de commerce et d'industrie attachant à l'ancienneté d'un agent des conséquences, notamment, sur les modalités de l'entretien professionnel et sur l'ouverture de certains droits à congés, la cour administrative d'appel de Marseille a inexactement qualifié la décision en cause. »

Ce faisant, le Conseil d’Etat appréhende la décision fixant l’ancienneté de l’agent dans son intégrité, car si l’ancienneté a des conséquences pécuniaires évidentes, celle-ci a également un impact sur la carrière, l’avancement, l’ouverture des droits à pension, des droits à congés de l’agent.

C’est d’ailleurs cette approche stricte que la Rapporteure publique Mireille LE CORRE préconisait dans ses conclusions sur l’arrêt commenté :

« La CCI soutient devant vous que ces conséquences sont des « effets secondaires, distincts de l’objet de cette décision ». C’est exact dans le sens où ils n’interviennent pas simultanément. Mais ce n’est pas, selon nous, le critère pertinent : ce qui vous importe, c’est de savoir si l’unique objet est pécuniaire, ou s’il emporte nécessairement ou même potentiellement d’autres conséquences qui sont d’une autre nature. »


En conséquence, les récentes décisions du Conseil d’Etat susvisées limitent les causes d’irrecevabilités liées à la notion de « décision à objet purement pécuniaire », en refusant toute interprétation abstraite qui donnerait aux juridictions administratives une latitude trop importante par rapport à l’exercice par le justiciable de son droit à recours. Une décision à objet purement pécuniaire, doit d’une part être susceptible d’être qualifiée de décision administrative et d’autre part n’avoir d’autre objet que pécuniaire.






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