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Sur l’application de la jurisprudence «Intercopie » au contentieux de l’état exécutoire

  • garreauavocat
  • 30 juin 2021
  • 8 min de lecture

Lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions tendant à l’annulation d’un titre exécutoire, des conclusions à fin de décharge de la somme correspondant à la créance de l’administration, il incombe au juge administratif d’examiner prioritairement les moyens mettant en cause le bien-fondé du titre qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de la décharge.


Jurisprudence ancienne et, pourtant, souvent méconnue du justiciable, la jurisprudence « Intercopie »[1] emporte des conséquences radicales sur les moyens qu’il est possible d’invoquer au cours d’une instance et est régulièrement réaffirmée par le Conseil d’Etat [2]. Le rapporteur public Jean-Paul Vallechia, dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, a précisé les faits ayant conduit à la procédure litigieuse : « Par une délibération du 30 mars 2007, la commune de Crest a approuvé le programme d’aménagement d’ensemble (PAE) du quartier Saint-Antoine, un quartier important de l’ouest de la commune, d’environ 10 hectares, dont le PLU approuvé le 17 mars 2006 avait prévu l’urbanisation en raison de la forte demande locale en matière d’habitat. Pour mener à bien le programme d’équipements nécessaire à cette urbanisation, qui correspond globalement à la réalisation de quelques 120 logements, cette délibération a donc prévu qu’une participation serait demandée aux constructeurs, en lieu et place de la taxe locale d’équipement (TLE), laquelle apparaissait insuffisante pour le financement de ce programme. Dans ce cadre, la société Khor Immobilier, promoteur-lotisseur, aux droits de laquelle est venue la société Francelot, a été chargée de réaliser les voies et réseaux divers d’un lotissement de 28 lots dénommé « Le Clos Saint-Antoine ». Elle a obtenu, tacitement, un premier permis d’aménager, le 24 septembre 2011, pour la création de ce lotissement. Elle a ensuite obtenu, le 27 avril 2012, un permis d’aménager modificatif qui a fixé les modalités de calcul de sa participation au titre du PAE. Cette participation a été arrêtée à la somme de 283.173,35 euros. La moitié a été appelée lors de l’ouverture du chantier et la société Khor l’a versée le 3 août 2012, après l’émission, le 26 juin 2012, d’un titre exécutoire de 141.588,17 euros. L’autre moitié, du même montant donc, a fait l’objet d’un nouveau titre de recettes, le 25 juin 2014, que la société Khor a refusé de payer. Après une lettre de relance du 25 septembre 2014 et une mise en demeure de payer du 20 juillet 2015, le comptable public a mis en œuvre une opposition à tiers détenteur auprès de la banque de la société Khor. Le patrimoine de celle-ci ayant été transféré vers la société Francelot, associée unique de la société Khor, un nouveau titre exécutoire, du même montant, a donc été émis le 4 décembre 2015, à l’encontre de la société Francelot. C’est donc ce titre que la société Francelot a contesté devant le Tribunal administratif de Grenoble pour en obtenir l’annulation ».


La société requérante demandait donc au tribunal administratif de Grenoble, en premier lieu, de prononcer la réduction à concurrence de 66 120,37 euros de la somme de 141 588,17 euros qui lui était réclamée par un titre exécutoire émis le 4 décembre 2015, au profit de la commune de Crest ou d’annuler ce titre, en second lieu, la décharge de l’obligation de payer cette même somme, procédant d’une opposition à tiers détenteur émise le 9 septembre 2015. Par un jugement n° 1506891, 1600355 du 17 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble prononçait un non-lieu à statuer en tant que la demande portait sur l’opposition à tiers détenteur du 9 septembre 2015, et rejetait le surplus de cette demande. La société Francelot (« la société ») relevait appel dudit jugement et soutenait, notamment que le titre exécutoire qu’elle contestait mentionnait de façon insuffisamment précise les bases de liquidation. En défense, la commune opposait, notamment, à l’appui de la jurisprudence « Intercopie » que le moyen tiré de l’insuffisante précision des bases de liquidation avait été soulevé postérieurement à l’expiration du délai d’appel et procédait d’une cause juridique distincte de l’unique moyen soulevé dans la requête, de sorte qu’il était irrecevable. En réplique, la société défendait que dans le cadre d’un recours de plein contentieux, les causes juridiques nouvelles peuvent être invoquées même après l’expiration du délai d’appel. Par l’arrêt commenté, la cour administrative d’appel de Lyon a donc dû trancher la question de l’applicabilité de la jurisprudence « Intercopie » au contentieux des états exécutoires.


I - Sur la réaffirmation de la jurisprudence « Intercopie »


Aux termes du considérant de principe énoncé par la jurisprudence « Intercopie », il est jugé « qu'après l'expiration du délai de recours contre un acte administratif, sont irrecevables, sauf s'ils sont d'ordre public, les moyens présentés par l'appelant qui ne se rattachent pas à l'une ou l'autre des deux causes juridiques, tirées de la régularité de la décision attaquée et de son bienfondé, invoquée dans la requête avant l'expiration de ce délai ; que ce délai de recours doit être regardé comme commençant à courir soit à compter de la publication ou de la notification complète et régulière de l'acte attaqué soit, au plus tard, à compter, pour ce qui concerne un requérant donné, de l'introduction de son recours contentieux contre cet acte ». Cette jurisprudence est d’application courante en matière de recours pour excès de pouvoir. Selon un mécanisme classique, le défendeur invoquera, après l’expiration du délai de recours contentieux, et en pratique plus de deux mois après l’enregistrement de la requête, l’irrecevabilité des moyens nouveaux se rattachant, soit à l’illégalité externe de la décision, si seul des moyens de fonds ont été invoqués par le requérant, soit à l’inverse, l’irrecevabilité des moyens se rattachant à une illégalité interne, si seuls des moyens relatifs à la légalité externe de la décision attaquée ont été présentés dans la requête. La règle ainsi consacrée repose sur l’idée selon laquelle « il est de l’intérêt de tous que les termes du litige soient cristallisés audelà d’un certain délai » [3] et qu’une fois ce délai expiré, le requérant ne puisse présenter aucune demande nouvelle. La jurisprudence « Intercopie » s’applique, a fortiori, si le moyen se rattachant à une cause nouvelle est invoqué pour la première fois en appel. La mise en œuvre de cette jurisprudence en matière de recours de plein contentieux est moins évidente. La notion de cause juridique distincte, bien que fréquemment utilisée par le juge administratif est alors plus difficile à appréhender dans les matières relevant de la pleine juridiction. Contrairement à ce que soutenait en défense le conseil de la société, l’applicabilité de la jurisprudence « Intercopie » au contentieux de pleine juridiction est acquise de longue date. Des exemples jurisprudentiels existent en matière de plein contentieux, comme le relève de Rapporteur public Jean-Paul Vallechia dans ses conclusions sur l’arrêt commenté, en mettent en exergue, notamment, un arrêt du Conseil d’Etat « EARL La Hêtraie » [4]. La question de l’extension du champ d’application au contentieux de l’état exécutoire restait donc ouverte, compte tenu du caractère spécifique du contentieux de l’état exécutoire, et face à la multiplication, des dérogations. En effet, au-delà de l’exception classique que représentent les moyens d’ordre public, ont émergé d’autres hypothèses de dérogation, tantôt à la suite de l’intervention du législateur, tantôt à la suite de l’intervention du juge lui-même : - en matière du contentieux de l’établissement de l’impôt et des dégrèvements d’office[5] ; - de responsabilité contractuelle et extracontractuelle[6] ; - ou encore d’éloignement des étrangers (CJA, art. R. 776-5N° Lexbase : L8139LAP).


II - Sur l’applicabilité de la jurisprudence « Intercopie » au contentieux des états exécutoires


Bien que prenant habituellement la forme d’un contentieux fait à un acte (le titre de recettes), le contentieux de l’état exécutoire n’en demeure pas moins rattaché à la catégorie des recours de pleine juridiction. Le recours dirigé contre un état exécutoire relève par nature du plein contentieux et non de l’excès de pouvoir. Lorsque les textes l’exigent, le ministère d’avocat est donc obligatoire. La solution est la même pour les ordres de recettes [7]. Il en est de même lorsque le titre est émis par l’agent comptable d’un établissement public[8]. Il n’en demeure pas moins que dans le cadre du contentieux à l’encontre des titres de recettes, le moyen formel relatif au défaut de précision des bases de liquidation du titre est régulièrement invoqué. Le Rapporteur public dans ses conclusions sur l’arrêt commenté rappelle d’ailleurs : « sur le fondement d’une jurisprudence bien établie du Conseil d’Etat [9] […] la règle formelle impérative de l’article 24 du décret du 7 novembre 2012 » impose « l’indication des bases de liquidation, soit par le titre lui-même, soit par un document qui lui est annexé ». Le moyen relatif à l’irrégularité du titre de recettes en raison d’un défaut de précision des bases de liquidation constitue un moyen opérant se rattachant à une cause juridique s’apparentant à un défaut de motivation. Ce moyen doit logiquement être distingué de celui se rattachant à l’absence de bien fondé du titre de recettes, qui relève d’une cause juridique. Or, au cas d’espèce, la société n’avait invoqué en première instance comme dans sa requête en appel, que des moyens de fonds tenant au caractère infondé de la créance revendiquée par la Commune. La cour administrative d’appel de Lyon constate que le moyen de forme, soutenu par la société n’a été invoqué que dans son mémoire en réplique du 19 juin 2019, après l’expiration du délai de recours contre le jugement de première instance. Ce moyen relevant d’une cause distincte, la cour le rejette donc comme irrecevable. En conséquence, et alors même que le contentieux des états exécutoire relève du contentieux de pleine juridiction, la jurisprudence « Intercopie » lui est applicable. Les juges lyonnais estiment donc, dans l’arrêt commenté que « l’appelant doit énoncer, dans le délai d’appel, la ou les causes juridiques sur lesquelles il entend fonder sa requête. Il suit de là que, postérieurement à l’expiration dudit délai et hors le cas où il se prévaudrait d’un moyen d’ordre public, l’appelant n’est recevable à invoquer un moyen nouveau que pour autant que celui-ci repose sur la même cause juridique qu’un moyen ayant été présenté dans le délai d’introduction de l’appel ». Ils ajoutent que « le moyen tiré de l’insuffisante précision des bases de liquidation, qui se rattache à la régularité du titre exécutoire, a été soulevé après l’expiration du délai d’appel. Ce moyen, qui n’est pas d’ordre public, ne se rattache pas à la même cause juridique que l’autre moyen soulevé, qui relève du bien-fondé de ce titre exécutoire. Ainsi, la commune de Crest est fondée à soutenir que ce moyen est irrecevable ». L’intérêt de développer, dès l’acte introductif d’instance, l’ensemble des moyens que le requérant entend soutenir est donc prégnant, quelle que soit la nature du contentieux, mais plus particulièrement en matière de plein contentieux. Nous avons vu, en effet, que pour cette catégorie de recours, les questions d’interprétation relatives à la possibilité de rattacher un moyen nouveau à une cause juridique, déjà exposée dans le délai de recours contentieux, sont complexes et soumises à interprétation. L’exposé exhaustif des moyens se rattachant à l’ensemble des causes juridiques qu’il est possible de soutenir, dès l’acte introductif d’instance permet donc de réduire le risque juridique.


[1] CE, Sect., 20 février 1953, n° 9772 ([LXB=]), Recueil p. 88.

[2] Cf. par exemple : CE, 27 juin 2011, n° 339568 N( ° Lexbase : A5694HUG).

[3] R. Keller, concl. sur CE, 27 juin 2011, n° 339568, préc., AJDA, 2011, p. 2023.

[4] CE, 9 juin 2006, n° 259574 (N° Lexbase : A8317DPQ).

[5] LPF, art. L. 199 C (N° Lexbase : L0439LTG ) ; CAA Bordeaux, 10 juillet 1991, n° 89BX01729 (N° Lexbase : A0447A83), Tables p. 827.

[6] CE, Sect., 20 octobre 2000, n° 196553 (N° Lexbase : A9119AH9), Recueil, p. 457.

[7] CE, Sect., 27 avril 1988, n° 74319 (N° Lexbase : A7642APQ), Recueil, p. 173.

[8] CE, 19 novembre 1999, n° 197358 (N° Lexbase : A4194AXM), Recueil, p. 722.

[9] CE, 6 avril 2018, n° 405014 (N° Lexbase : A4102XK7) ; CE, 11 janvier 2006, n° 272216 (N° Lexbase : A5295DM3).





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